De l’ombre à la lumière : accompagner les personnes "ultra-timides"
- Louise Freitas
- 15 juin
- 5 min de lecture
Certaines personnes vivent chaque interaction sociale comme une épreuve. Passer un appel téléphonique, soutenir un regard, exprimer un avis... Tout cela peut sembler anodin, voire facile pour certains, mais pour d’autres, cela constitue un véritable défi, tant les sensations que cela procure peuvent être sources de souffrance.
C’est le cas d’un homme que j’ai eu l’occasion d’accompagner récemment en thérapie. Son parcours illustre de manière bouleversante la puissance de l’accompagnement thérapeutique.
Une timidité paralysante, des pensées envahissantes (une insécurité presque permanente)
Lorsque ce monsieur est venu me consulter, il était dans une forme d’enfermement intérieur. Il ne pouvait pas passer un appel téléphonique, s’exprimer sans bafouiller ni réagir spontanément. Il évitait toute prise de parole en public et se sentait très en difficulté dans ses démarches de recherche d’emploi. Mais plus encore, il vivait avec un flot constant de pensées négatives à son propre sujet : « Je suis nul », « Je suis comme ça et ça ne changera jamais », « Je vais encore me ridiculiser », « Je ne vaux rien », « Je ressemble à un monstre ». Cette auto-dépréciation permanente l’empêchait d’imaginer un avenir personnel, amoureux ou professionnel.
Comme souvent chez les personnes très anxieuses, nous avons identifié une succession de croyances limitantes, de peurs anticipatoires et d’images de soi construites dans des contextes douloureux. Pourtant, en lui, il y avait une envie profonde de changement, de lien, de vie. Il avait simplement besoin d’une autre voie d’accès à ses ressources.
Milton Erickson : une approche humaine, souple et respectueuse
Milton Erickson, psychiatre et hypnothérapeute américain du XXe siècle, considérait chaque personne comme fondamentalement unique, détentrice de ressources souvent inconscientes. Pour lui, il ne s’agissait pas de « corriger » un symptôme, mais de créer un espace sécurisé où la personne pouvait réapprendre à se faire confiance, réorganiser son monde intérieur, et transformer ce qui la figerait.
L’hypnose ericksonienne ne cherche pas à forcer un changement, mais à le favoriser par petites touches, à travers des suggestions métaphoriques, des expériences sensorielles ou des recadrages subtils. C’est une approche qui respecte les résistances, voire les utilise comme points d’appui pour aller plus loin. C’est ce que nous avons mis en œuvre dans cet accompagnement.
Avant de commencer tout travail thérapeutique, particulièrement avec une personne ultra-anxieuse ou timide, il est essentiel d’établir une alliance de confiance authentique, car c’est cette relation sécurisante et bienveillante qui crée le terrain indispensable à l’exploration et au changement.
Retraiter les peurs, revisiter les croyances
Le travail a commencé par un repérage fin des croyances automatiques et rigides qui l’enfermaient : « Quand je parle, je risque de me tromper », « Les autres me jugent », « Si je montre qui je suis, je serai rejeté ». Plutôt que de les confronter frontalement, nous avons utilisé des inductions hypnotiques pour permettre au cerveau de revisiter certaines situations passées et de les regarder avec un œil différent, plus adulte, plus distancié.
Lorsque ces croyances touchaient de près ou de loin des événements traumatiques complexes (par exemple le harcèlement scolaire répété, les brimades et humiliations au domicile), il était approprié de se centrer sur ces événements avec différents protocoles propres au retraitement du psychotraumatisme, adaptés en fonction de la situation.
Erikson a montré que notre développement se fait par étapes, chacune avec un défi à relever pour construire une identité équilibrée. Lorsqu’une personne vit un traumatisme, ces étapes peuvent rester bloquées, ce qui perturbe son développement émotionnel et social. Le protocole de retraitement du psychotrauma vise à rouvrir ces étapes figées, en offrant un espace sûr où la personne peut revivre, comprendre et transformer ses souvenirs douloureux pour retrouver un mieux-être intérieur.
Erickson utilisait l’état de conscience modifiée comme un tremplin pour activer de nouvelles perceptions. Grâce à l’hypnose, cet homme a pu rencontrer en lui des ressources cachées, des moments où il avait su s’adapter, aider, être présent. À travers des visualisations positives et des dialogues internes réécrits, il a pu modifier son rapport à lui-même et aux autres.
Nous avons aussi travaillé les peurs, non pas en les évitant, mais en les approchant avec douceur. Lorsqu’il imaginait passer un appel téléphonique, une cascade d’émotions le submergeait. Sous hypnose, il a appris à accueillir ces sensations, à leur donner une forme, une voix, à les transformer progressivement en quelque chose de plus gérable. Il s’est entraîné mentalement à vivre des scènes qui autrefois l’auraient figé. Peu à peu, son corps a commencé à intégrer un autre scénario.
Confiance, estime, image de soi
Un travail de fond a été engagé autour de l’estime de soi et de l’image personnelle. L’objectif était de lui permettre de reconnaître sa valeur, son droit d’exister tel qu’il est, avec ses émotions, ses fragilités et ses forces. Il s’est réapproprié une place dans le monde.
Ce cheminement a été long mais régulier. Il s’est engagé pleinement dans la thérapie, venant tous les quinze jours puis tous les mois, investissant les séances d’hypnose et les exercices proposés entre les rendez-vous. Il a accepté de traverser des zones de vulnérabilité, de faire face à ses doutes, d’accueillir des parties de lui qu’il avait longtemps repoussées.
Le travail d’exploration du génogramme a significativement contribué à une nouvelle représentation de son histoire et de sa place, ce qui a été un tremplin au cours de la thérapie (moins de culpabilité, nouveau désir de différenciation vis-à-vis de sa famille d’origine).
Une transformation incroyable… vers les autres
Aujourd’hui, cet homme travaille comme auxiliaire de vie. Lui qui avait tant de mal à appeler quelqu’un ou à parler en public se retrouve désormais auprès des autres, à les écouter, accompagner et soutenir dans leur quotidien. Il a fait de sa vulnérabilité une force d’empathie. Il comprend ce que signifie avoir peur, se sentir invisible ou incapable. Et c’est sans doute cela qui fait de lui un professionnel si précieux.
Je n’aurais jamais imaginé une telle évolution, et pourtant… Il peut être fier de lui. Je suis fière de lui.
Conclusion : l’accompagnement thérapeutique est un artisanat du changement
L’histoire de cet homme montre que la transformation est possible, même lorsque tout semble figé. Cette approche permet d’aborder les souffrances psychiques avec une extrême bienveillance, en s’appuyant sur les ressources de chacun. Elle ouvre un chemin là où la personne se sentait bloquée et propose un dialogue entre les différentes parties de soi.
Pour les personnes ultra-timides, anxieuses ou enfermées dans des schémas limitants, cette approche offre un cadre rassurant, respectueux et puissant. Elle permet d’apprivoiser ses peurs, de revisiter ses croyances et d’oser réinventer son rapport au monde.
Merci infiniment à cet homme qui, malgré ses symptômes d’anxiété liés à la relation, a su franchir la porte du cabinet et me faire confiance.
Louise FREITAS
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